La vente liée ordinateur/logiciels
April
Révision v1.0 — 21 septembre 2011
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Table des matières
1 Introduction
La vente liée
La vente liée est également appelée vente subordonnée ou vente
forcée.
consiste à subordonner la vente d’un bien ou d’un service à celui
de l’achat d’un autre bien ou service, en empêchant de se procurer
séparément un des deux produits
Selon le glossaire européen, c’est une « pratique
commerciale consistant à lier la vente d’un produit à l’achat d’un
autre produit » :
http://ec.europa.eu/competition/publications/glossary\_fr.pdf
. L’April s’oppose à ces pratiques illégales, anticoncurrentielles
et monopolistiques, contraires au droit des consommateurs et à leur
liberté de choisir l’ordinateur et les logiciels qui leur
conviennent le mieux.
Nocifs pour les consommateurs, pour le logiciel libre et pour la
concurrence, les effets de la vente liée incluent :
- une absence de choix et une complexité des
solutions proposées pour les consommateurs, alors même qu’ils
souhaitent avoir le choix
Voir notamment à ce sujet l’étude du CREDOC, observatoire des
conditions de vie, « Les attentes des consommateurs en matière
d’ordinateur « nu » et de logiciels pré-installés »
(décembre 2007) : http://www.credoc.fr/publications/abstract.php?ref=C243
;
- un renforcement de certains acteurs déjà
monopolistiques au détriment d’autres solutions
innovantes ;
- un surcoût artificiel ;
- un marché grand public limité aux offres
d’acteurs dominants et fermé à la concurrence de nouvelles
solutions.
L’April appelle au respect des consommateurs pour que chacun
puisse choisir facilement les logiciels et matériels qui
correspondent le mieux à leurs besoins et souhaits. Aujourd’hui, le
marché de l’informatique grand public ne propose que rarement des
machines équipées de solutions libres. Or, imposer des logiciels
éloigne les utilisateurs des systèmes d’exploitation libres.
L’April soutient donc une diversification de l’offre et la
transparence des conditions d’usage des logiciels.
2 Définition et périmètre de la vente
liée
L’article L122-1
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006292153
du code de la consommation rappelle qu’« il est interdit
de [...] subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité
imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre
service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle
d’un autre service ou à l’achat d’un produit, dès lors que cette
subordination constitue une pratique commerciale
déloyale », ce qui fait écho à l’article 102 du
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:FR:PDF
traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
L’article 102 du TFUE interdit « le fait pour une ou
plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position
dominante », ce qui inclut « subordonner la
conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de
prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les
usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces
contrats »
.
L’appréciation d’une pratique commerciale déloyale ou trompeuse
se fait selon des critères précis, listés par l’article L120-1 du
code de la Consommation
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=AD122FD22485FE84D9DFD08ADE1D67B2.tpdjo17v\_3?cidTexte=LEGITEXT000006069565\&idArticle=LEGIARTI000017960381\&dateTexte=\&categorieLien=cid
: « Une pratique commerciale est déloyale
lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence
professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de
manière substantielle, le comportement économique du consommateur
normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard
d’un bien ou d’un service. »
Concernant l’aspect juridique, ce n’est pas le fait de vendre
des logiciels avec un ordinateur qui est illégal en soi, mais
l’impossibilité de faire autrement pour le consommateur, ainsi que
l’absence d’information sur le prix des logiciels achetés avec
l’ordinateur ; ce sont ses aspects déloyaux qui rendent
illégale la vente liée ordinateur/logiciels. Il faut en effet
distinguer :
- la pré-installation, légale, qui consiste à
proposer un système d’exploitation et plusieurs logiciels avec des
ordinateurs neufs, mais qui n’implique aucune obligation
d’utilisation ni d’achat de la part des utilisateurs ; elle
peut d’ailleurs s’apparenter à une vente en lots ;
- la vente liée, qui exige des consommateurs
le paiement d’une licence pour acquérir une machine, avec l’achat
forcé des logiciels pré-installés.
Si la vente liée de logiciels est illégale, c’est par les
conséquences qu’elle entraîne, à la fois pour les acteurs du marché
et pour les consommateurs : cela provoque en effet des
distorsions de marché et une concurrence déloyale, ce qui va à
l’encontre des droits des consommateurs à être pertinemment
informés et à pouvoir choisir les produits qu’ils souhaitent.
3 La vente liée ordinateur/logiciels
entraîne des distorsions de marché et une concurrence déloyale
L’absence de sanction de la vente liée — et donc son acceptation
tacite par les pouvoirs publics — renforce la situation de
déséquilibre et de quasi-monopole qui existe actuellement sur le
marché logiciel grand public, avec un éditeur monopolistique,
Microsoft, qui utilise sa situation dominante pour faire perdurer
ce déséquilibre.
De plus, le marché des constructeurs est ultra-concurrentiel,
leur marge commerciale dépend de la baisse du prix des logiciels
qu’ils ont réussi à négocier et de la publicité des logiciels en
version d’essai. Être le seul à ne plus accepter la vente liée de
certains logiciels revient à prendre le risque de ne plus
bénéficier de ces contrats. Ainsi, les constructeurs sont
dépendants d’un éditeur unique et des contrats qui sont signés avec
ce dernier, et cet abus de position dominante empêche l’émergence
de concurrents sur le marché logiciel.
En conséquence, les développeurs et vendeurs de logiciels libres
ne bénéficient pas de la même exposition et de la même publicité
pour leurs produits : leurs noms et produits étant moins
présents, ils restent souvent inconnus du grand public. Et tout est
fait pour décourager les consommateurs plus avertis, y compris le
recours à la publicité abusive ou illégale
Voir l’initiative de l’April sur la collecte de
publicités : http://wiki.april.org/Vente\_Liee\_Collecte\_Publicites
ainsi que la page AchatOrdinateurLibre : http://wiki.april.org/AchatOrdinateurLibre
. Les revendeurs incitent alors à accepter la vente liée, en la
présentant comme inévitable, sans autre alternative.
Des mécanismes de même type existent également au niveau
constructeurs : puisqu’ils proposent leurs machines avec une
suite logicielle donnée, matériel et spécifications techniques ne
sont échangés qu’avec l’éditeur ; ainsi, les éditeurs de
logiciels alternatifs, et notamment toute l’économie du logiciel
libre, ont plus de difficultés à utiliser le matériel vendu, ce qui
renforce le camp de ceux qui prétendent qu’il n’y a pas
d’alternative possible.
Ces pratiques anticoncurrentielles et déloyales se renforcent
mutuellement. Pour sortir de cette spirale et permettre à tous de
ne plus subir ces ventes forcées, il existe des solutions simples
techniquement, qui respectent l’esprit et la lettre de la loi sans
imposer de complexité supplémentaire à l’utilisateur.
4 La vente liée empêche les consommateurs de
choisir leur matériel et leurs logiciels
Un argument souvent rebattu par les promoteurs de la vente liée
est que les consommateurs seraient satisfaits de la situation
actuelle. En réalité, «l’option qui consiste à ne proposer
qu’un seul système d’exploitation pré-installé, comme c’est le plus
souvent le cas aujourd’hui, ne recueille finalement l’adhésion que
d’une personne sur trois, quelle que soit la catégorie sociale
considérée »
Les attentes des consommateurs en matière d’ordinateur
« nu » et de logiciels pré-installés (décembre
2007) : http://www.credoc.fr/publications/abstract.php?ref=C243
. Une majorité d’utilisateurs voudrait donc avoir le choix des
logiciels, par exemple parce qu’ils utilisent un système
d’exploitation alternatif, ou parce qu’ils en possèdent déjà les
licences
Achat séparé ou encore licences offertes comme les licences
étudiantes par exemple, via le programme MSDNAA de Microsoft.
. Les utilisateurs de logiciels libres, en particulier, se
retrouvent ainsi marginalisés et contraints à payer des logiciels
qu’il n’ont pas souhaités.
Par conséquent, obtenir les logiciels et le matériel de son
choix se révèle être une tâche difficile. Si certains constructeurs
et revendeurs d’ordinateurs sont plus respectueux de la liberté des
consommateurs que d’autres
Voir notamment à ce sujet le classement réalisé par le site
http://bons-vendeurs-ordinateurs.info/.
, la plupart des revendeurs grand public ne proposent pas de
solution satisfaisante. Actuellement, une des seules réponses
données aux consommateurs est un « remboursement » de la
licence suite au refus du Contrat de Licence de l’Utilisateur Final
FOO
. Concrètement, le consommateur doit acheter l’ordinateur et les
licences logicielles pour ensuite demander le
« remboursement » d’une somme qui correspondrait plus ou
moins au prix payé pour la licence, selon des conditions qu’il
ignore avant l’achat ; le montant reversé par le constructeur
ainsi que les conditions pour l’obtenir ne sont généralement pas
tenues à la disposition du public avant achat.
Mais cela représente un surcoût important pour les
consommateurs, à la fois par les obligations que la demande de
« remboursement » impose et par la différence entre le
coût réel de la licence et ce qui est effectivement
« remboursé ». En effet, la plupart des constructeurs
proposent un montant bien inférieur au coût réel de la licence,
comme cela a été jugé de nombreuses fois : ainsi, lorsque Acer
propose un remboursement de 60 €, le juge de proximité
d’Aix-en-Provence considère que le montant des logiciels
pré-installés s’élève à 450 €
Perrono c. Acer (Aix en Provence, 17 février 2011. Jugement
disponible sur le site de l’Aful :
http://racketiciel.info/media/document/Jugement-Perrono-Acer-20110217.pdf
, ou quand Packard-Bell propose 40 € alors que le juge de proximité
de Nancy estime le montant des licences à 100 €
Le Roux c. Packard Bell (Nancy, 4 juin 2009). Jugement
disponible sur le site de l’Aful :
http://www.aful.org/media/document/Jugement-Le\_Roux-PB-20090604.pdf
.
De telles pratiques ont été plusieurs fois jugées abusives
Voir par exemple Baratte c. MSI (Annecy, 18 janvier 2010), ou
Le Roux c. Packard Bell (Nancy, 4 juin 2009) sur le site racketiciel.info
. Surtout, elles ne répondent pas au problème de la vente liée,
puisque celle-ci a toujours lieu : l’achat de la machine est
subordonné au paiement de la licence des logiciels. De surcroît,
même ces conditions de licences sont parfois ignorées par des
constructeurs qui ne respectent pas leurs propres obligations
contractuelles.
Trop de procédures complexes sont mises en place pour décourager
le consommateur, incluant par exemple le renvoi de la machine aux
frais de l’utilisateur et son indisponibilité pour une durée
indéterminée, voire l’impossibilité d’obtenir ce remboursement. La
justice a pourtant condamné ces pratiques à de nombreuses
reprises
Par exemple, le constructeur Asus a été condamné à payer près
de 1 500€ à un client qui souhaitait le remboursement de la
licence, ce montant correspondant à la somme de la licence et du
préjudice subi suite à la tentative de détournement de procédure
par le constructeur. Voir également :
http://www.cuifavocats.com/Les-pratiques-commerciales-de-ASUS
pour plus d’informations.
.
5 Quels recours pour les
consommateurs ?
Malgré ces nombreuses difficultés, il reste possible pour un
consommateur d’agir pour éviter la vente liée :
- en choisissant un revendeur d’ordinateur qui
a de bonnes pratiques ;
- en se renseignant sur les pratiques des
différents constructeurs ;
- en demandant si nécessaire le
remboursement ;
- parfois, en menant une action en
justice.
Cependant, ces actions exigent un investissement personnel
important ; de nombreux consommateurs se sont en effet heurtés
à une opposition totale de la part des différents constructeurs et
ont dû aller en justice pour faire valoir leurs droits. Mais, les
victoires obtenues par le groupe Racketiciel
Le groupe de travail racketiciel de l’Aful a été constitué avec
pour objectif de permettre à un consommateur de ne pas payer les
logiciels préinstallés lors de son achat informatique. Pour en
savoir plus : http://racketiciel.info/
, et notamment devant la Cour de cassation le 15 novembre 2010
Pour plus d’informations sur cette décision, voir l’analyse de
l’April
http://www.april.org/la-cour-de-cassation-sinteresse-la-vente-liee
et le communiqué de presse de l’AFUL :
http://aful.org/communiques/tres-belle-victoire-groupe-aful-racketiciel
.
, prouvent qu’il est possible d’agir.
De même, l’association de consommateurs UFC-Que choisir a lancé
plusieurs actions en justice contre des constructeurs et des
revendeurs grand public. Si la décision de cour d’appel contre
Darty a été décevante pour l’April
Voir
le communiqué de presse de l’April.
, un jugement de la cour d’appel de Versailles du 5 mai 2011 a
cependant infirmé cette décision, en soulignant que la vente liée
ordinateurs/logiciels était contraire à la diligence
professionnelle et constituait une pratique commerciale déloyale.
Pour simplifier les recours, l’April demande d’autres moyens
d’actions, comme la mise en place d’actions de groupe, et a
notamment répondu à des consultations européennes sur le sujet
Voir la réponse de l’April à la consultation européenne sur les
recours collectifs :
http://www.april.org/reponse-de-lapril-la-consultation-europeenne-sur-les-recours-collectifs
.
. Ces modes de recours permettent aux individus de s’associer dans
une plainte commune pour des litiges de masse et de faibles
montants ; ainsi, les consommateurs n’ont pas à porter plainte
et à aller au tribunal individuellement, mais peuvent s’associer à
une plainte déposée, par exemple, par une association de
consommateurs. Cela donnerait ainsi à chacun la possibilité de
faire respecter plus efficacement ses droits.
6 L’inaction des politiques
La mise en place de moyens permettant aux consommateurs de faire
valoir leurs droits est d’autant plus importante que, malgré de
nombreuses déclarations d’intention, la lutte contre la vente liée
annoncée par les politiques n’a toujours pas été amorcée. La fin de
la vente liée était pourtant listée comme objectif du plan France
Numérique 2012
Voir notamment les actions 64 et 65 du Plan :
« Action n°64 : Promouvoir un
affichage séparé des prix des logiciels et systèmes d’exploitation
pré-installés » et « Action
n°65 : Permettre la vente découplée de
l’ordinateur et de son logiciel d’exploitation. Réunir un groupe de
travail rassemblant les acteurs de la distribution, les
associations de consommateurs, les fabricants et fournisseurs de
logiciels pour mettre en place un test dès le premier trimestre
2009 » et
le communiqué de presse de l’April.
et le gouvernement annonce depuis de nombreuses années son
intention de lutter contre ces pratiques, mais rien de concret n’a
encore été proposé. Le dossier est pourtant sous les projecteurs
depuis plus de dix ans
Le groupe detaxe date
ainsi de 1998, par exemple.
. De même, il a été évoqué de nombreuses fois lors de questions
parlementaires
De nombreuses questions ont été posées sur le sujet, voir
notamment les questions au gouvernement posées en 2005 par M. Le
Déaut, M.
Châtel, Mme
Marchal-Tarnus, ou encore M.Tourtelier.
. Par ailleurs, des réunions avec la DGCCRF sur ces questions,
suite au plan Besson, n’ont mené à rien. Pire encore, une récente
réponse du ministre chargé de l’Économie numérique, Éric Besson, a
affirmé que la question étant complexe, il semblait urgent de ne
rien faire
La réponse complète est disponible sur le site
de l’Assemblée nationale.
. Les condamnations répétées par des juges apportent pourtant un
démenti flagrant à cette affirmation, en attendant une
transformation en jurisprudence qui pourrait enfin permettre de
faire respecter les droits des consommateurs.
7 Une solution technique, réponse au
problème de la vente liée : l’optionnalité
L’April ne souhaite pas l’interdiction de la vente d’un
ordinateur avec des logiciels pré-installés mais
l’optionnalité : les logiciels sont en option (comme tout
autre service) et les consommateurs peuvent décider de les acheter
ou non avec la machine. Ceci entraîne, le cas échéant, un paiement
supplémentaire pour les logiciels lors de l’achat.
L’optionnalité peut, par exemple, prendre la forme de machines
pré-équipées de logiciels non activés. Les utilisateurs qui
souhaitent utiliser ces programmes pré-installés achèteraient en
même temps la clé d’activation. Une telle solution ne pose pas de
difficultés techniques particulières, les constructeurs proposant
déjà à leurs clients professionnels des ordinateurs avec les
logiciels de leur choix, sans condition de valeur et/ou de volume,
et avec une facturation clairement séparée des licences des
logiciels. Cela existe déjà pour l’option de la suite Office de
Microsoft
http://www.microsoft.com/OEM/en/licensing/productlicensing/Pages/office_2010_licensing.aspx
.
D’autres solutions logicielles sont aussi envisageables, comme
un écran de sélection de l’OS, qui entraîne la désinstallation
complète des logiciels non souhaités par les utilisateurs lors de
la première utilisation, avec un système de paiement en ligne. Ce
qui existe déjà pour le choix du navigateur dans certains systèmes
d’exploitation Microsoft Windows
http://standblog.org/blog/post/2010/02/22/Ecran-de-choix-du-navigateur
.
Les solutions techniques existent, ne manque plus que la volonté
politique de les faire appliquer.